Une longue semaine depuis le retour à terre de Claire

Après mon débarquement à Ceuta, il n’était pas simple de revenir à la maison, au sens propre comme au figuré.
Me voici de retour en Normandie depuis mercredi, et j’en profite pour vous donner quelques nouvelles, et revenir quand même sur ce qu’il s’est passé en cette nuit du 15 novembre.
J’aimerai aussi partager avec vous tout ce qui a été positif bien avant cet accident, mais ce sera dans une autre news !
Merci à vous tous en tout cas pour tous vos messages et vos encouragements en ces moments difficiles.

Retour sur l’accident :

J’avais repris la course depuis 4 jours, tout était clair sur la stratégie et j’avais trouvé mon rythme, j’avais de nouveau confiance dans mon bateau.
Je venais d’aborder un premier passage délicat avec la traversée d’un front froid  assez costaud : plus de 30 nœuds de vent, une mer croisée très formée. Le bateau, fraîchement réparé, a tenu le choc, j’avais un peu peur mais c’était un bon test pour reprendre confiance dans la solidité de l’ensemble.
D’autant que je m’apprêtais à affronter un autre très gros coup de vent dans moins de 24h, le dernier couperet avant des zones de calmes.
Dans l’après-midi du 15, j’ai donc « remis du charbon » pour descendre rapidement vers le Sud et être moins exposée. J’ai tenu une très bonne moyenne toute la journée, toujours malmenée, trempée, secouée comme dans un shaker, à retomber des fois sèchement sur les vagues.
Le vent est progressivement redescendu en-dessous de 10 nœuds en fin de journée, mais il restait beaucoup de houle.
J’avais donc renvoyé toute la toile, et j’avais enfin un peu de répit pour aller manger, reprendre des fichiers météo, et me reposer.
C’était le bon moment pour le faire, car j’attendais une bascule de vent dans les heures à venir, avec de la manœuvre de nuit dans du vent faible et une mer chaotique, il fallait que je sois en forme.
Cela faisait quasiment 48h que je n’avais croisé personne dans cette zone très peu fréquentée, loin de toutes côtes, et rarement empruntée par les cargos.
J’entreprends donc un tour d’horizon sans rien distinguer, avant descendre dans la cabine.
Je n’ai rien à l’AIS sur mon écran d’ordinateur. L’ AIS est un système électronique qui émet et reçoit les positions des navires équipés du même système. C’est une aide précieuse pour nous, navigateurs solitaires, car cela peut nous permettre d’anticiper les croisements dangereux.
Je ne vois donc rien de particulier à l’écran et décide de me reposer pour une vingtaine de minutes.
Tout s’enchaîne ensuite très vite.
J’entends d’abord un gros crac qui me sort de la bannette, suivi immédiatement de craquements lugubres et de secousses violentes.
Je me rue dehors et me retrouve face à un mur de métal noir sur mon flanc tribord. Ma coque se fracasse, des éclats de peinture volent de partout, je n’arrive pas à éloigner mon bateau de ce mastodonte qui continue sa route, le bruit de ses machines est assourdissant, les remous gigantesques…
Et puis plus rien…Plus de bruit, juste un bateau ouvert sur le côté, qui flotte encore, et des voiles sans vent..
La stupeur passée il faut agir, et vite.
Je descends, je ne prends pas l’eau…
Je me précipite sur la VHF pour prendre contact avec ce fantôme qui continue sa route.
Ils répondent immédiatement, je leur demande de se mettre en stand-by le temps que j’évalue les dégâts, que je contacte la direction de course, que je prenne une décision.
Je sécurise d’abord le bateau, affale mes voiles, et effectue un 1er tour.
Je constate essentiellement une ouverture de la liaison coque-pont sur près de 3,50m sur le flanc tribord, qui commence à la cadène de hauban, la fixation des câbles qui tiennent le mât…
Je ne peux pas décemment naviguer en bâbord car voie d’eau, ni en tribord car le mât risque de tomber. L’ouverture est vraiment large, même si au-dessus de la ligne de flottaison.
Je suis loin des côtes et j’ attend un fort coup de vent à partir du lendemain midi, dans les 12h.
Peu de navires circulent dans les environs, rendant un autre sauvetage, plus tard, très hasardeux.
Je m’entretiens avec la direction de course sur les différentes options, et nous convenons d’une évacuation immédiate, essentiellement motivée par la dégradation rapide des conditions météo dans les prochaines heures, alors que la prise en charge par le cargo semble l’option la moins risquée.
J’ai donc repris contact avec le cargo pour leur demander de me récupérer.
Nous avons convenu d’une procédure d’approche de ma part au moteur au niveau de leur porte d’accès latérale tribord, la porte d’accès pour les pilotes.
C’est une échelle de corde qu’ils mettent en place sur le flanc du bateau, charge à moi de m’approcher au plus près pour grimper à cette échelle.
La houle est encore forte et c’est au moteur que j’effectue mon approche. Au moment de se présenter, la houle génère des différences de niveau de 2/3 mètres, il faut choisir le moment où l’échelle est accessible. J’arrive à attraper les premières marches et grimpe à bord du cargo, laissant mon bateau au point mort, voiles affalées, à la dérive.
Je vous passe les détails d’une vie entre parenthèses à bord d’un géant de 300 mètres, celui qui a mis fin à cette aventure de folie qu’est la Route du Rhum…
Après 2 jours à bord, je suis enfin  débarquée à l’entrée du détroit de Gibraltar, dans le port de Ceuta.

Ce n’était pas la fin de l’aventure car il a été assez compliqué de revenir en France!
Le bateau est toujours à dérive, sa balise émet toujours, mais aux vues des dégâts et des coûts de récupération, il semble compromis de pouvoir le récupérer. Il a parcouru de l’ordre de 180 milles vers l’Est.

Et la suite ?

C’est encore trop tôt  pour affirmer quoi que ce soit, il va me falloir un peu de temps.
J’ai eu beaucoup de chance de m’en sortir indemne.
Maintenant, je viens de rentrer en Normandie et j’ai de quoi m’occuper afin de régler tout cela.
Il ne faut rien précipiter.
Ma volonté pour 2019 était bien d’être présente sur le circuit class40, un circuit essentiellement en double, avec la Transat Jacques Vabre en fin d’année.
Avant toute chose, il faut bien analyser tout ce qu’il s’est passé pour repartir sur un éventuel projet en double. Au-delà de cet accident, ça a été compliqué de mener ce projet à terme d’un point de vue financier, et clairement, je ne repartirais pas sur un projet dans les mêmes conditions.
Si je m’engage dans cette voie, il faudra trouver un autre bateau, ou m’associer à un projet existant. Cela veut dire beaucoup d’énergie à déployer et des moyens. Et pour le moment, je n’en ai plus !